C’est un dessin mémorable de Jacques
Faizant. Paru dans un Figaro de 1975, il montre neuf personnages agitant le
drapeau de leur pays. L’un crie « Vive la Pologne », un autre
« Vive la Chine », un autre « Vive l’Albanie », etc.
jusqu’au dernier, « Vive la France ». Les légendes sont
les mêmes pour tous ces citoyens : « Valeureux patriote ».
Tous, sauf le Français, gratifié de « Vieux con, chauvin, xénophobe et
présumé facho ».
Figaro oblige, Faizant oubliait les méga cocardiers anglo-américains. A ce détail près, son cynisme prophétisait juste. Quasi un demi-siècle plus tard, le Français politiquement correct respecte toutes les identités. Pourvu que ce ne soit pas la sienne !
Si la bien pensance signe des chèques en
blanc aux identités venues d’Afrique ou de l’Est, le pays dans son immense
majorité confie toutes ses économies au maître anglo-américain. Confie ?
Non, se dépouille sans autre condition que le reniement français.
- Il liquide d’abord la question
embarrassante de l’immigration. Soit – tendance minoritaire – il convient fissa
de rejeter l’envahisseur à la mer. Soit – et mieux – il déclare la France de
tous temps nourrie grâce à l’immigration.
Les deux tendances fusionnent sur un
point : taire que des individus immigrés (et non des groupes entiers)
participèrent à la grandeur d’une civilisation en coulant leur génie personnel
dans le moule français.
- Il enfile ensuite un blouson. Lavé de
toute référence gauloise, il le pare de couleurs anglo-américaines : il
baptise ses enfants Kevin ou Déborah. Le drapeau tricolore relégué au fond du
tiroir où dorment ses premières chemises, le « Français » brandit la
bannière étoilée ; l’union jack à la rigueur. Bannières déclinées sous
trente-six formes physiques, et plus encore de formes intellectuelles (si l’on
ose le terme).
Se dépouille, disions-nous. Brader
l’héritage d’une culture trop grande pour ma petite taille, trop riche pour mon
cerveau rétréci. Le remplacer par les téléfilms US grassement dispensés par
l’ensemble chaines hexagonales et autres Netflix. Faire subventionner par le
contribuable des films « français » tournés en anglo-américain.
S’interdire de lancer un produit, une marque, une idée sans l’affubler d’un nom
anglo-américain. Plus généralement, abandonner sa langue maternelle pour la
langue de nos bons maîtres – une discipline où excellent les plus jeunes.
Brader tout l’héritage. Mais avec la
manière. Garder, pour décorer, les grandes idées généreuses : le droit à
la différence, le refus du colonialisme. Elles fournissent des coussins bien
confortables : on célebre le mariage du papareil ; on bat à
profusion sa coulpe colonialiste.
Et de la protestation théorique, l’on
passe à la pratique.
- La différence enrichissante ?
Balayée par le sacre de la monoculture anglo-américaine. Les
mosaiques de langues ? Réduites aux babils des enfants à la mamelle,
tandis que les peuples s’inclinent devant la monolangue du monde. L'anglo-américain
qui n’est pas l’esperanto, mais le vecteur d’une civilisation bien spécifique.
- L’aversion pour toutes les formes de colonialisme ? Certes, mais surtout pas pour la sublissime colonisation par une civilisation qui nous est tellement supérieure !
« Ma patrie, c’est la langue
française » assurait Camus.
« Langue française », comme langue véhiculant une pensée unique, tournée vers l’universel, la défense des libertés, la spiritualité, une salutaire distance d’avec le matérialisme et l’argent roi ; langue d’une culture et d’une littérature parmi les plus immenses ayant jamais existé. Langue française, comme trait d’union entre 220 millions de locuteurs. Langue des Français, comme le japonais demeure la langue des Japonais. Langue française, enfin, comme garantie de précision et source de nuances, dès lors que pratiquée avec compétence.
Langue française, aujourd’hui, comme
« Patrie française ». « Patrie » ? Une tanière pour
vieux réacs vaguement fachos. Radiée pour délit de sale Gaule.
Ainsi pense la grande majorité du peuple ; en tout cas la majorité de son intelligentsia comme des classes les moins favorisées. Ainsi pratiquent la quasi-totalité de ses communicants, mondes de la presse, de la publicité, de l’entreprise. Et sous le joug se plient tant et tant d’artistes et de créateurs.
Résister « comme en
40 » ? Le Français y incline d’autant moins que cet occupant-là, il
n’en subit pas la présence, il l’appelle et l’applaudit.
Résister pourtant. Par ce patriotisme inverse du nationalisme : non pas la détestation des autres nations, mais le sentiment de partager avec elles un destin commun, le désir par exemple d'apporter au monde ce qu’a (encore un peu) en propre le génie français. Faire fructifier nos talents pour le bénéfice commun.
Mais il est tellement moins
exigeant de s’exonérer de pareille tâche ; par exemple en dénonçant notre
fameuse « arrogance ». Quelle prétention en effet que de prétendre
parler de droits de l’homme, de primauté de la pensée, du respect des
spécificités, de la priorité de l’humain sur la machine économique ! Et
quelle prétention que de prétendre en parler à notre maitre anglo-américain.
Lui qui l’est si peu, arrogant.
Louis Maisonneuve
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